18

 

Ils avaient examiné longuement les pièces données par maître Duom, semblables à celles qu’ils avaient aperçues en traversant la foire. Elles paraissaient frappées dans l’acier et étaient triangulaires, leur centre percé d’un trou en forme d’étoile. « Le nombre de branches de l’étoile, leur avait expliqué maître Duom, indique la valeur de la monnaie. »

Suivant ses conseils, ils conservèrent leurs jeans, mais achetèrent des bottes souples, cousues dans l’incontournable cuir de siffleur et des tuniques amples. Se souvenant de la fraîcheur de la nuit passée à la belle étoile, ils firent également emplette de deux ponchos de laine grise et de sacs assez semblables à celui d’Edwin, pourvus de nombreuses poches et de larges sangles.

Lorsqu’ils arrivèrent à l’auberge du Chien-qui-dort, la journée tirait à sa fin.

Ils trouvèrent Bjorn qui sommeillait dans un fauteuil, les pieds sur une table basse.

— Salut, jeunes gens, leur dit-il en les voyant. Tout s’est bien passé ?

— Assez bien, oui, répondit Camille laconique.

L’aubergiste s’enquit de ce qu’ils désiraient. Camille consulta Salim du regard avant de répondre.

— Manger, pour l’instant. Nous attendons quelqu’un mais, s’il tardait trop, serait-il possible d’avoir une chambre ?

Le tavernier confirma qu’il n’y avait aucun problème. La saison était creuse et, à cause de la guerre et des incursions de bandits, les gens hésitaient à voyager. Les chambres libres ne manquaient pas.

— M’acceptez-vous comme compagnon ? leur demanda Bjorn alors qu’ils s’attablaient.

— Volontiers, accepta Camille, en se poussant pour lui faire une place.

— Je suis peut-être trop curieux, commença le chevalier blond, mais ce départ nocturne a-t-il un rapport avec votre quête ?

— Oui, soupira Salim, et je crois qu’on n’en a pas fini.

Bjorn sourit largement.

— Je suis plutôt désœuvré en ce moment. Accepteriez-vous mon aide pour atteindre votre but, quel qu’il soit ?

— Je croyais que tous les soldats étaient à la guerre, s’étonna Salim.

— Je ne suis pas soldat, mon garçon, je suis chevalier. Cela n’a rien à voir.

— Euh… ?

— Je ne suis pas un militaire. Chevalier est un titre que l’on gagne par sa valeur et, il faut l’avouer, avec un peu d’argent. Or je possède les deux à profusion. Je vais où je veux et, si j’ai déjà combattu les Raïs avec les armées impériales, je recherche surtout les quêtes glorieuses qui bâtissent les légendes.

Camille le regarda, surprise.

— Pourtant vous ne nous connaissez pas.

— C’est vrai, mais une quête est une quête. Et puis, continua-t-il, j’ai une dette envers vous.

— Une dette ?

— Oui, vous avez fait preuve cet après-midi de beaucoup de délicatesse. Je n’ai pas vraiment tué ce Ts’lich, même si mes coups l’ont obligé à prendre la fuite. Vous avez passé ce détail sous silence, m’évitant une honte cuisante.

— C’est un gros détail, se moqua Salim, vous ne croyez pas ?

— Non, pas du tout. J’ai occis de nombreux Ts’liches dans ma vie. Je ne suis plus à un près.

Camille leva les yeux au ciel et se désintéressa de la conversation. Son esprit était absorbé par ce qu’elle venait d’apprendre, et les rodomontades de Bjorn l’agaçaient.

Salim, lui, se piqua au jeu, son ironie trouvant là un terrain de prédilection.

— Je croyais que les Ts’liches étaient très difficiles à tuer.

— Ils le sont, affirma le chevalier. Tu as sans doute devant toi le seul homme de Gwendalavir à en avoir combattu autant et à avoir survécu.

— Et vous ne vous rappeliez pas que leur sang était vert ?

— Leur sang est rouge. Ton amie se trompe, et je suis prêt à défier en combat singulier tout homme qui prétendrait le contraire.

Salim s’apprêtait à répliquer, quand une voix calme s’éleva derrière eux.

— Le sang des Ts’liches est vert, tu es un menteur.

Bjorn bondit sur ses pieds. Salim se retourna.

— Edwin !

Camille sursauta. Leur guide était assis à une table proche, les épaules calées contre le dossier de sa chaise. Il eut un petit sourire en voyant leur réaction.

— Je vous avais dit que je vous retrouverais. Je ne mens jamais, moi.

Il avait prononcé ces derniers mots en regardant Bjorn dans les yeux.

Le chevalier devint écarlate.

— Par le sang des Figés, cria-t-il, qui que tu sois, je vais te corriger !

Il poussa un rugissement sauvage et fonça sur Edwin.

Le chevalier blond devait bien mesurer quinze centimètres de plus qu’Edwin et lui rendre trente bons kilos. Il était debout et furieux, tandis que son adversaire, toujours assis, paraissait surpris de la tournure prise par les événements.

L’affaire fut promptement réglée.

Edwin évita la charge de Bjorn en se glissant souplement sur le côté, et se leva. Comme dans un pas de danse, il lui souleva le bras gauche, presque avec délicatesse, et porta deux atémis sauvages dans ses côtes.

Le chevalier ouvrit la bouche comme pour hurler, mais aucun cri ne sortit. D’écarlate, il devint cramoisi, battit l’air des deux bras pendant une seconde et s’abattit comme une masse.

Edwin secoua la tête avec écœurement.

— Et fragile avec ça !

Camille et Salim n’avaient pas bougé.

— Vous ne l’avez pas… demanda le garçon à voix basse.

— Non, le rassura Edwin, il va retrouver son souffle. Regarde.

Bjorn poussa un grognement rauque. Il s’assit avec difficulté en se tenant précautionneusement les côtes. Charitable, Edwin lui tendit une main que le chevalier saisit pour se redresser.

— Bon sang, gémit-il, j’ai l’impression d’avoir percuté un rhinocéros. Qui diable es-tu ?

Camille sourit. Elle aimait bien Bjorn, pourtant sa prétention méritait d’être douchée.

— Il s’appelle Edwin Til’ Illan, déclara-t-elle, et s’il est là ce soir, c’est qu’il a tué deux Ts’liches. Et lui, c’est vrai.

— Deux Ts’liches… commença Bjorn.

Puis il s’arrêta et devint tout pâle.

— Edwin Til’ Illan, reprit-il en articulant lentement, vous êtes… ?

Comme Edwin acquiesçait en silence, Bjorn plaqua ses deux mains sur son visage.

— Décidément, soupira-t-il, je cumule les bourdes. Il faut que je me reprenne. Edwin Til’ Illan… C’est impossible !

Camille et Salim le regardaient, surpris. D’accord, Edwin était impressionnant et le chevalier avait reçu une fameuse correction, mais il en faisait un peu trop à leur goût. Ils comprirent avec un temps de retard lorsque Bjorn ajouta :

— Edwin Til’ Illan, maître d’armes de l’Empereur, commandant de la Légion noire, vainqueur des dix tournois… Je vous prie de me pardonner, je suis vraiment un âne bâté.

— C’est plutôt un âne battu, souffla Salim à Camille qui pouffa.

— C’est bon, lança Edwin à Bjorn, tâche de parler moins et d’agir plus, tu ne pourras que t’améliorer. Maintenant, je souhaiterais m’entretenir avec ces deux jeunes gens. Peux-tu te retirer ?

Le chevalier lança à Camille un sourire penaud et gagna le fond de la salle.

— Vous avez été dur avec lui, remarqua Camille.

— Tu trouves ? répondit Edwin, l’air étonné.

Salim intervint :

— Pas du tout ! Ce n’est que justice que les menteurs se fassent un peu masser les côtes.

L’aubergiste, qui avait soigneusement évité de lorgner dans leur direction pendant l’altercation, s’approcha de leur table avec un plateau chargé d’un ragoût fumant.

— C’est du siffleur ? s’informa Salim qui commençait à apprécier la nourriture locale.

— Oui, confirma Edwin, et certainement meilleur que celui que je vous ai fait goûter hier.

Pendant qu’on les servait, Edwin s’assit et planta ses yeux dans ceux de Camille.

— Raconte-moi ce que vous avez fait depuis que nous nous sommes quittés ce matin.

Elle soupira.

— Je commence à en avoir assez de raconter tout ce que je fais.

Edwin garda son regard gris fixé sur elle.

Et Camille raconta.

D'un monde à l'autre
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